Cette Copie de Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes se fit sous la forme de lettres d'amour envoyées jour après jour, du 4 février au 24 avril 1995 à Claire Chazal, présentatrice du journal télévisé sur TF1, une des chaînes télévisuelles françaises.1995 marquait le dixième anniversaire de la mort de Roland Barthes et celui de la première copie de G. C-T.
Chacun des petits chapitres de ce Fragments d'un discours amoureux formait une lettre ; au total quatre-vingts lettres écrites à Claire Chazal, du 4 février au 24 avril 1995 (la grande popularité de la présentatrice, environ 10 millions de fidèles téléspectateurs, fut déterminante). Après une dizaine d'envois, à raison d'une lettre par jour, le peintre en lettre adressa parallèlement un courrier au secrétariat de Claire Chazal, expliquant sa démarche, afin de préserver les lettres adressées, puis après la trente-troisième lettre d’amour, il tenta de s'entretenir directement avec l'intéressée, sans succès, et il apprit, comme il s'y attendait, que TF1 n'avait aucune trace de ces multiples envois. De justesse il fit récupérer au bureau de poste une lettre expédiée le jour même, et satisfait de la preuve par trente-trois qu’il venait de s’infliger, qui démontrait que la copie d’un fragment ne peut produire elle-même qu’un nouveau fragment, il continua désormais à (se) les écrire sans les envoyer. Trente-trois lettres avaient donc disparu, formant ce nouveau Fragments d'un discours amoureux.
L'ensemble se présente dans une ancienne vitrine Napoléon III, avec à gauche un PowerBook ouvert, sur l'écran duquel s'anime indéfiniment le visage de Claire Chazal, séquences tirées de divers journaux de TF1, de 93 à 94, il n'y a pas de son, juste à côté de ce livre moderne ouvert, un paquet de lettres tenues par un ruban brun, encore plus à gauche, deux lettres ouvertes, puis deux autres paquets de lettres enrubannés. En exergue les paroles de Stanislas dans L'aigle à deux têtes de Jean Cocteau (version cinématographique) : «... en écrivant vous m’écriviez, en vous écrivant j’écris...». La télévision, paradigme de l’icône moderne, où sous forme d'émission lumineuse, les madones (Vierges à l’Enfant) que sont les présentatrices, entrent quotidiennement et comme par miracle, dans tous les foyers, s’adressant à tous, sans distinction ; Claire Chazal est une madone par excellence, puisque d’abord Vierge à l’enfant caché, puis à l’enfant dont le père est une énigme. En fait cette copie ne serait-elle pas une version moderne, inversée, des Mémoires de deux jeunes Mariés, ou de Modeste Mignon, tirés de la Comédie Humaine de Balzac, où il est question de cette confrontation tragique de l’imagination et de la vie et des pièges que l’idéal, devenu article de bazar, tend à l’imagination.
Première présentation : exposition personnelle Peinture, MODERNE Correspondance, galerie Liliane & Michel Durand-Dessert, Paris (27/01-2/03/1996)
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